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Quarto n°130
Entours du trou
Collectif
Présentation :
Comment viser dans l’expérience analytique une épure du fantasme qui ouvre au sujet la possibilité de cerner les entours du trou, ce trauma originel, à l’heure où les possibilités de camoufler ce trou pour ne rien vouloir en savoir sont plus infinies que jamais. C’est le pari de la psychanalyse de ne pas reculer devant ce point opaque qui s’invite pour chacun sous la forme de la répétition d’une souffrance.
Éditorial :
Nous devons notre titre à Jacques-Alain Miller dans un texte où il délivre des indications précieuses sur la place du fantasme tout au long de l’expérience analytique et sa traversée.
Comment viser dans l’analyse une épure du fantasme qui ouvre au sujet la possibilité de « palper les entours du trou que lui-même constitue 1 » ?
Si le langage est troumatique 2, « c’est [pourtant bien] dans la rencontre des mots avec le corps que quelque chose se dessine 3 ». Le trou laissé par la percussion du signifiant trace un bord au corps qui sinon n’existe pas. Une série de signifiants s’enchaînant dans le meilleur des cas en un fantasme tentera de recouvrir ce « blanc fondamental 4 » qui se rappellera sans relâche au sujet sous la forme de cette jouissance qui lui est propre.
Ce ratage toujours au rendez-vous, Lacan lui donnera un contour dans cet aphorisme : Il n’y a pas de rapport sexuel.
Les dernières journées de l’École de la Cause freudienne sous la direction de Damien Guyonnet et Aurélie Pfauwadel ont été l’occasion de questionner la « norme mâle », cette occurrence que Lacan a fait résonner avec « normal », c’est-à-dire une fiction qui procède au maintien d’un certain ordre auquel s’accrocher. Cette norme mâle consiste à promouvoir un pour tout x valable pour tous, censé amadouer la béance au coeur du sujet. Or la jouissance propre à chacun fait voler cette uniformisation en éclats. Comme nous l’indique Philippe De Georges dans ce numéro, « la norme mâle apparaît à tous les coups comme un semblant. […] La question […] pour chacun est d’abord de faire tenir le corps ».
Patricia Bosquin-Caroz, en reprenant le cas de Dora, retrace pas à pas la façon dont une femme hystérique se débrouille avec son corps en tentant de répondre au « vertige de l’être » auquel elle est confrontée par le corps de l’autre femme. Tentative vouée à l’échec chez Lol V. Stein qui finit par disparaître derrière cette autre femme. Ce manque de signifiant pour dire la femme, Lacan l’écrira dans cette formule percutante : La femme n’existe pas. C’est précisément le thème qui sera travaillé lors des Premières Grandes Assises virtuelles de l’Association Mondiale de Psychanalyse dont Laurent Dumoulin nous donne un avant-goût dans ce numéro : « Si la femme n’existe pas, le réel, lui, existe. […]. L’inexistence du rapport sexuel dénude préjugés et sens commun, et confronte chacun à un trou. C’est ce trou qu’il est tentant de recouvrir du voile de la polémique. »
Les possibilités de camoufler le trou pour ne rien vouloir en savoir sont donc infinies. Parmi ces possibilités, l’époque actuelle voit foisonner avec force moult opérations sur le corps propre.
Lors de notre rencontre avec le pédopsychiatre Alain Malchair, coordinateur d’un centre d’accompagnement des transidentités, celui-ci pointait l’importance de prendre au sérieux les signifiants de l’époque car c’est à ne pas les considérer comme un effet de mode qu’une ouverture à l’altérité de la pensée ainsi qu’une réponse sur mesure pourront voir le jour. Lacan ne dit pas autre chose lorsque, dans son texte sur la sexualité féminine, il évoque « l’altérité du sexe 5 ». Il s’agit de s’approcher de cette part d’étrangeté qui échappe fondamentalement la dialectique phallocentrique et faire ainsi une place à cet Autre absolu intrinsèque à la position féminine, comme le pointe Alfredo Zenoni. Une ouverture sur « un savoir y faire avec cette béance mais sans la voiler ni la démentir » souligne Patrick Monribot. C’est précisément ce savoir y faire, ce nouage singulier, de l’ordre d’une « performance 6 » qui orientera l’acte de l’analyste non sans une solitude assumée indique Anaëlle Lebovits-Quenehen, offrant là une occasion de transformer le minoritaire toujours revendicatif en un unique en son genre sur lequel « prendre appui afin de trouver une digne place dans le monde ».
C’est bien de cela dont il est question dans l’interprétation analytique dont Laurent Dupont nous a brossé un tableau lors de son introduction à la soirée organisée par le CPCT Paris : il s’agit « de se dégager du sens et de la signification afin qu’émerge un autre savoir, inconscient celui-là, qui permettra au sujet de relire autrement ses dits, modifiant ainsi les circuits de la jouissance. » C’est le pari de la psychanalyse.
Céline Aulit
1 Miller J.-A., « Remarque sur la traversée du transfert », La Cause freudienne, no 18, juin 1991, p. 18.
2 Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les non-dupes errent », leçon du 19 février 1974, inédit.
3 Lacan J., « Conférence à Genève sur le symptôme », La Cause du désir, no 95, avril 2017, p. 12.
4 Laurent É., « L’inconscient et l’événement de corps », La Cause du désir, no 91, novembre 2015, p. 25.
5 Lacan J., « Propos directifs pour un Congrès sur la sexualité féminine », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 732.
Points forts
- Un cours des Enseignements de l’ECF « Le savoir psychanalytique à ciel ouvert ». Cours de Patrick Monribot
- Une rubrique sur les questions d’identités avec une interview d’Alain Malchair, coordinateur d’un centre d’accompagnement des transidentités
- De nombreux textes théoriques sur la norme mâle et le féminin qui lui échappe
Sommaire :
Éditorial : Céline Aulit
Le savoir psychanalytique à ciel ouvert
Patrick Monribot : Érotique et nouvel amour
Pas sans interprétation
Laurent Dupont : À lire
Études sur l’hystérie
Patricia Bosquin-Caroz : Hystérie, corps et féminité
La norme mâle
Damien Guyonnet : Tout ce que vous avez toujours voulu savoir
sur la logique du tout
Impasses de la norme mâle
Pénélope Fay : L’échappé de la norme mâle
Nathalie Crame * Nicolas Moyson * Pascal Docquiert
Les mâles du siècle
Clotilde Leguil : « Virilités toxiques ? » Modes de la violation
Guy Briole : Ainsi sont les hommes !
Philippe De Georges : Comment on se norme-mâle-ise
Couleurs d’hommes
Esthela Solano-Suárez : La norme mâle
Alice Delarue : Qu’adore une femme chez un homme ?
Philippe La Sagna : L’homme et ses différentes fins
Abords de la féminité
Alfredo Zenoni : L’Autre absolu
Laurent Dumoulin : Vers La femme n’existe pas
Questions d’identités
Anaëlle Lebovits-Quenehen : Faire la différence
Éric Zuliani : Le phallus un concept has been ?
Fabian Fajnwaks : Euphorie du genre
Entretien avec le Professeur Alain Malchair :
Un accompagnement singulier des transidentités
par C. Aulit, J.-P. Cornet et S. Wilkin
Cabinet de lecture
Nathalie Georges-Lambrichs : Un livre (a)dressé