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Tya en Belgique

"Passions du produit"

Extime : Catherine Lacaze Paule

Samedi 25 janvier 2024 de 9h à 12h30 (accueil à 8h30)

Argument

« Rien ne console de ne plus boire. »[]

Nous nous sommes attachés, lors des dernières Conversations cliniques du TyA, à étudier les fonctions de la drogue chez les sujets addicts selon différentes voies d’entrée : à quoi les usages de la drogue répondent-ils pour chacun ; que traite le produit ; comment l’intervenant peut-il s’insérer dans le cycle infernal de la répétition pour en subvertir le destin ?

Un autre versant de la consommation de drogues mérite notre intérêt : la jouissance qu’introduit dans le corps la consommation d’un produit psychotrope. Il y a là l’expérience d’une jouissance nouvelle, inconnue du sujet, qui modifie son rapport à son propre corps.

« Si le signifiant cisaille le corps à sa façon, le savoir contenu dans le médicament le cisaille autrement. Il fait connaître au sujet une jouissance inconnue de lui-même ; absolument inconnue. »[] Ce qu’Éric Laurent avance à propos du médicament psychotrope vaut tout autant pour la drogue et l’alcool : de cette expérience nouvelle qui modèle différemment son rapport à son propre corps, que fait le sujet ?

Au-delà de ce dont certains témoignent quant aux effets attendus du produit – assoupir l’angoisse, recouvrir le sentiment de vide de l’existence, calmer l’«énervement» en sont autant d’exemples–, une autre dimension «a- fonctionnelle», plus discrète, moins partageable est impliquée dans la consommation, qui peut prendre la forme d’une véritable passion. Ce lien au produit qui en fait pour certains un partenaire quasi exclusif, au-delà parfois des limites qu’imposerait la conservation de la santé, est également une réponse à la rencontre avec cette jouissance nouvelle. Certains sujets, en effet, y trouvent une satisfaction qui ne s’épuise pas, cependant que l’issue mortelle n’est pas toujours tenue fort éloignée.

Cette dimension relève de la contingence d’un effet inédit éprouvé dans le corps qui se noue à une modalité de jouissance auto-érotique, répétitive, sans Autre ; elle touche un autre registre que celui qui relève des fonctions de la consommation.

Quelle jouissance particulière est en jeu dans cette réitération, cette répétition du même Un de jouissance[], excluant la face de nouveauté paradoxalement incluse dans la répétition ? Quelle est cette passion qui conflue avec la pulsion de mort, voire qui y rive le sujet ? Peut-on soutenir qu’elle est une manière de donner forme à cet appel vers la mort, que parfois, paradoxalement, elle tempère[] ?

M. Duras, que nous avons citée en exergue, illustre ce lien complexe :

« Ce qui empêche de se tuer quand on est fou de l’ivresse alcoolique, c’est l’idée qu’une fois mort on ne boira plus. »[]

Nous avons noté que peu de patients évoquent cette dimension qui résiste probablement à la mise en mots, débordant le registre signifiant ; néanmoins, les consommateurs engagés dans cette expérience peuvent-ils nous en apprendre quelque chose ? Comment y être attentifs de la bonne façon ?

Nadine Page, Hélène Coppens, Marie-Françoise De Munck

[] Duras, M., La vie matérielle, P.O.L., Paris, 1987, p. 23.
[] Laurent, E., « Comment avaler la pilule ? » Ornicar ?, n° 50, De Jacques Lacan à Lewis Carroll, Navarin, 2003, p. 71.

[] Miller, J.-A., Lire un symptôme, in Mental, n° 26, Comment la psychanalyse opère, 2011, p. 58.

[] Cf. à ce propos J.-P. Deffieux, La clinique au présent, Ed. Le Paon, 2024, p. 114.
[] Duras, M., op. cit., p. 20.